Un
prêtre orthodoxe, atteint de coronavirus, raconte son aventure.
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Père
Athanasios Karatzogiannis, Théologue M.Sc, est prêtre a l'église
Orthodoxe "Saint Dimitrios" de Maasmechelen, en Belgique.
Pendant la période du Carême, il a été infecté par le virus
Covid-19, et hospitalisé.
Le
28 Mars, un samedi matin, apparurent les premiers nuages qui
prédiraient la tempête qui rentrait brusquement, et de façon
inattendue, dans ma vie.
Tout
a commencé avec une maladie simple, comme une grippe commune, mais
qui s’est rapidement évoluée en quelque chose d’inconnu que
nous ne voulions même pas considérer comme une possibilité.
La
fièvre et la toux intensive nous ont doucement soumis l’idée que
le scenario le plus horrible envahissait notre maison, causant des
problèmes dans notre vie.
Le
résultat positif au coronavirus a confirmé ce que nous savions
déjà. Après ça, tout s’est déroulé très rapidement :
l’ambulance arriva et, en tout me mettant sous oxygène, m’a
emmené à l’hôpital.
Là-bas
il y avait déjà beaucoup de cas pareils ou pire que le mien :
des vieux bien-aimés, des femmes d’âge moyen qui étaient
autrefois pleines de vitalité et de créativité, mais aussi de
jeunes personnes. Je les rejoints. Un prêtre orthodoxe grec parmi
des dizaines de personnes qui ont comme moi la soif de la vie, qui se
battent comme moi pour vivre, qui sont comme moi aimés par notre
Dieu.
On
me place bientôt dans une chambre avec une infrastructure
extrêmement luxe. Je pense qu’il s’agit de la seule fois que
j’ai réalisé les conforts de l’hôpital. Dans les moments
difficiles, on s’intéresse pas autant à l’emballage de la
douleur.
À
ce moment-là toutes les interrogations existentielles émergent et
ton corps nu se bat pour trouver les réponses. Ce sont là des
moments où on se décompose dans le cœur en répétant la phrase
«Pourquoi
moi ?»
pour que la réponse «Pourquoi
pas moi ?» surgisse de soi-même aussitôt après. Beaucoup de docteurs et
d’infirmiers de différentes spécialisations se placent à ma
disposition, reflétant un sentiment à la fois d’autorité et
d’affection. Examens, testes et radiographie ont lieu.
Une
guerre vient de commencer, une guerre contre le temps, le virus, les
effets secondaires. Les antibiotiques et les paracétamols rentrent
doucement dans mes veines grâce la perfusion, prenant aussi place
dans la guerre contre le virus.
En
même temps, les nouvelles se propagent rapidement. Mes paroissiens
sont choqués, mais ils prient avec espoir. Certaines personnes vont
même prier juste devant l’église fermée.
Notre
Métropolite Mgr Athenagoras téléphone chaque jour à la maison
pour prendre de mes nouvelles. Au monastère de la Nativité de la
Mère de Dieu à Asten se déroule la supplication devant la relique
de Saint Nicéphore le lépreux.
Un
Métropolite en Grèce, qui était un ancien camarade de classe et un
très bon ami, publie la nouvelle sur internet pour former
immédiatement une chaine de prière : des moines, des prêtres,
des archevêques, des églises, des monastères, au Mont Athos et à
Jérusalem unissent leurs prières. Ma famille m’informe de tout
cela, je suis ému, je prends du courage et je continue à me battre.
Le
docteur angoissé remarque que le taux d’oxygène diminue
drastiquement. Il décide donc de me déplacer aux soins intensifs.
Le virus attaque maintenant les deux poumons. Ma fièvre arrive à 40
degrés Celsius et les antipyrétiques ne parviennent pas à le faire
baisser.
Dans
ces moments difficiles, un très bon ami à moi m’appelle au
téléphone. Il me soutient avec les paroles d’un moine béni du
Mont Athos. «Dis-lui
de ne pas avoir peur, tout va bien se passer. La Sainte Vierge
(Panayia) l’aime et elle va le guérir. Il est tombé malade pour
que le miracle se passe et que les Belges croient. Dis-lui aussi de
raconter son histoire quand il guérira».
On
me place sous les soins intensifs. Je regarde autour de moi. Des
machines se trouvent derrière moi, une infinité de bouton, des
compteurs, des indications, reliées à des ordinateurs de haute
technologie. En face de moi se trouve une grande horloge noire avec
des chiffres en rouges. Rien d’autre. Ceci sera le monde pour moi
pendant ce temps ou je serai ici. Pourvu que je sorte ! J’essaye
de fermer mes yeux, mais je n’y arrive pas. Tout mon corps est
plein de tubes et d’aiguilles. J’essaye de bouger mais mon corps
n’obéit pas. J’ai des difficultés à respirer. A chacune de mes
respirations je sens comme si une infinité de lames percent mon
corps. Mon appareil respiratoire réalise des mouvements verticaux
pour me garder en vie.
Je
n’ai aucun contact visuel avec le monde extérieur. Je voudrais
beaucoup avoir une porte, une fenêtre, ou même une petite fente au
mur, pour voir le ciel bleu ou un petit nuage. Ou peut-être la
lumière du coucher du soleil. Même une tempête, pourvu que je voie
quelque chose.
Je
regarde l’horloge en face de moi. Il est 00h15. « Il est
minuit », je me dis dans ma tête. J’attends que les minutes
passent. 00h16, 00h17. C’est le seul changement que je peux
apercevoir. Impatiemment j’attends que l’indication de 00h...
passe à 01h... Et on recommence de nouveau avec les minutes. 01h01,
01h02. Le « supplice de la goutte d’eau ».
La
pneumologue apparait à la porte. Elle se pose près de moi et essaye
de me réconforter. Elle me dit « Aujourd’hui
c’est votre anniversaire »,
et elle me demande mon pays d’origine.
«Grec ?
Prêtre Orthodoxe ?».
Elle est vraiment surprise. Elle part tout de suite en courant et, a
son retour, elle tient une orange. Elle l’épluche soigneusement et
la met, morceau par morceau, dans ma bouche jusqu’à la fin. Je
n’ai jamais mangé une orange aussi délicieuse de ma vie. Jusqu’à
cela, la seule chose qu’il m’était permis de mettre dans ma
bouche était une solution très amère.
Je
ne sais pas si elle est blonde ou brune, jeune ou d’âge moyen. Je
sais juste que c’est un ange, qui sort du cadre des devoirs
typiques et qui essaye de me faire sentir mieux, de n’importe
quelle façon. Son regard est remplie d’affection, de tendresse et
de respect envers moi.
Elle
se lève pour partir et couvre soigneusement mes pieds avec le drap
spécial que l’on trouve aux lits des soins intensifs.
Après
peu de temps, une infirmière vient à moi. Je ne la connais pas. Je
n’arrive pas à distinguer la différence entre tous ceux qui y
travaillent. Avec leur combinaison « astronautique », les
lunettes de sécurité, les gants, les masques… Tout le monde
ressemble à tout le monde. Elle est venue pour me faire une prise de
sang. On m’en fait une, quatre fois par jour. « Vous êtes
donc prêtre ?», elle me demande avec un air intéressé.
La nouvelle a tourné. Je n’ai pas le courage d’aborder une
conversation. Je lui réponds plus avec des mouvements qu’avec des
paroles. Le taux d’oxygène dans mon sang n’est toujours pas
assez. Je me désespère. Mais au même moment je me relève, donnant
espoir à moi-même : «La Sainte Mère de Dieu sait
bien».
Les
heures passent très lentement. Les docteurs rentrent dans la
chambre, avec leurs papiers, leurs notes, leurs angoisses, leur
espoir. On m’annonce que le taux d’oxygène a atteint une
stabilité. Cela reste ainsi le lendemain et le jour d’après.
On
est le Samedi de la Résurrection de Saint Lazare. Seigneur je suis
ici ! Avec un poids sur mon torse. Je sens comme si un rocher
est en train de me détruire. Et j’attends ta voix dire «Enlevez
la pierre» (Paroles de Jésus avant la Résurrection de Saint
Lazare). Je suis sûr que ça va passer. Juste je ne sais quand. «Je
crois, Ô Seigneur, aide mon incrédulité».
Tu
ne m’as pas laissé attendre plus d’une journée. J’ai
finalement entendu cette phrase «Enlevez
la pierre»
de la bouche du docteur. Il a dit : «C’est incroyable !
Le taux d’oxygène a fait une grande montée». C’est Ta
voix que j’ai entendue à ce moment-là et j’ai été témoin de
ma propre résurrection. Tout le monde s’apprêtait à la prochaine
phase probable : L’intubation. Et tu les as contredits d’une
telle manière. On me tient au courant que quelqu’un me cherche au
téléphone des soins intensifs, destiné uniquement aux patients.
Normalement cela serait impossible car les patients ne peuvent avoir
aucun contact avec le monde extérieur. Mais à cause de la
particularité de la situation avec le Coronavirus, nous avions la
possibilité de communiquer une fois par jour avec la famille en
appel vidéo. Surpris, j’entends notre docteur familial à
l’appareil, qui est informé de ma situation grâce a une
plateforme en ligne.
- Père,
je suppose que tu sais ce que mon prénom signifie, non ?
Je
réponds : «Bonne annonce», a mon cher
docteur Evangelos et j’attends sa réponse.
- Exactement
mon Père ! Ton aventure termine bientôt. Les dernières
analyses sanguines et analyses radio montrent une montée importante
du taux d’oxygène et un recul de la pneumonie. Père, peux-tu me
dire ce que tu as fait ?
À
ce moment précis j’ai senti comme si une grande fente s’est
apparue au plafond, et qu’une lumière chaude vint éclaircir la
chambre sombre et froide. Le soutien que je reçois par les machines
se réduit petit à petit et mon taux d’oxygène augmente.
Le
matin du Vendredi Saint, je reçois l’appel de la Presvytera (ma
femme) au téléphone et elle me donne du courage en me transmettant
tous les souhaits de mes paroissiens pour une «Bonne
Résurrection». Ce sont la Presvytera et mon fils les vrais
héros cachés dans cette histoire.
Tout
ce temps ils ont laissé leurs soucis de côté pour faire face à
cette situation.
Ils
tiennent au courant les paroissiens avec les dernières nouvelles,
ils communiquent avec la famille et nos amis anxieux en Grèce, ils
soulagent ma mère qui, en ignorant
ma maladie, demande passionnément : «Mais où est-il
donc père Athanasios ? Pourquoi n’a-t-il donc pas
téléphoné ? »
Deux
infirmières rentrent dans ma chambre. «Père, les soins
intensifs sont finis pour vous maintenant ! On va vous emmener
dans une chambre d’hospitalisation». Elles s’adressent à
moi comme si j’étais un membre de leurs familles. Pour cette bonne
nouvelle, elles me servent une orange et une poire, provenant
directement de leur gouter. Je n’ai jamais reçu un tel cadeau de
toute ma vie, un vrai cadeau. Je suis ému.
Le
monde a l’air splendide maintenant à travers les fenêtres de ma
chambre. Je ne croirais pas dire une telle chose un jour. Mais quand
tu vois la mort en face, même une petite chambre monotone de
l’hôpital prend d’autres dimensions. Le ciel est muni d’une
splendide couleur bleu clair. Le peu de nuages joue à cache-cache
avec le soleil. L’image est magnifique. Des dizaines d’oiseaux
déchirent le vent. Mes oreilles n’entendent pas, mais mon cœur
comprend la mélodie de leur chant. Mon Dieu, qu’elle est belle ta
création.
Je
constate que les muscles de mes mains et de mes pieds ont rétrécis.
Je dois faire des exercices quotidiennement maintenant avec des
physiothérapeutes. Je suis content. La Presvytera me raconte un fait
inhabituel qui s’est passé hier, chez une famille de ma paroisse.
C’est
l’après- midi et le couple regarde la messe sur internet.
Soudainement, ils entendent un chant d’oiseau a travers la fenêtre
semi ouverte, chantant une mélodie joyeuse, avec un message
d’espoir, étrange, provenant des cieux. Ils n’avaient jamais
entendu un tel chant. «Quel est ce bon message que Dieu veut
nous envoyer cette semaine sainte ?». Le soir Presvytera
les informe que leur prêtre est bel et bien sorti des soins
intensifs. Ainsi leur joie monte aux cieux.
C’est
la Pâque. Une Pâque différente des autres. Je sais qu’aucune
chose que l’on ferait normalement cette année n’allait se
passer. Je sais que c’est une Pâque pauvre en symbolisme
extérieur, mais riche en expérience pascale. Je sais que je ne vais
ni entendre ni chanter (J’arrive à peine à chuchoter, tellement
je suis faible) le chant «Le
Christ est ressuscité».
Je ne me plains pas. J’attends. Je ne sais pas exactement quoi.
Mais J’attends.
Mon
téléphone sonne. «Le
Christ est ressuscite des morts, par la mort il a vaincu la mort …
». Des belles voix angéliques chantent en direct pour moi ! Ce
sont les bonnes sœurs du Monastère du Repentir, ma sœur. Mes
larmes ne me permettent pas de lui parler.
Le
téléphone résonne après un bout de temps. C’est mon ami bien
aimé, avec lequel nous avons fait de la musique ensemble pendant des
années. Il me met une mélodie que je reconnais à l’appareil, en
même temps assez originale : il a orchestré, à l’aide d’un
ami commun, une mélodie que j’avais composé.
Il me la fait écouter comme un cadeau pour Pâques. Les larmes me
reprennent. Je n’arrive plus à parler.
Les
jours passent. Mon corps se remet petit à petit. On est le Vendredi
de la Source Vivifiante, un jour très important pour moi :
c’est le jour de mon anniversaire en tant que prêtre. J’apprends
que demain, samedi 25 avril, je rentrerai chez moi.
Ma
joie est modérée lorsqu’on me dit que je ne pourrai pas voir ma
famille de près, je ne pourrai pas les embrasser et que je devrai
m’isoler pour 15 jours dans ma chambre à la maison. Mais tout de
suite après j’en ai eu honte, en pensant aux gens qui étaient au
même étage que moi dans l’hôpital, mais qui ne sont jamais
rentrés chez eux. Certains même plus jeunes que moi. Je suis équipé
d’un dispositif à oxygène, au cas ou il y ait une rechute.
Maintenant enfermé dans ma chambre, je dois envoyer via internet
quelques données à propos de ma santé à l’hôpital, 3 fois par
jour, pour qu’ils fassent une évaluation complète de ma santé.
J’ai quand même toujours besoin de l’aide et d’une
certaine surveillance par des infirmières expérimentées, une
infirmière belge et une turque. Ici a l’étranger, nous avons
appris à bien nous entendre avec des gens de différentes
nationalités et de différentes religions.
Néanmoins,
dans les moments difficiles, on préfère toujours avoir près de
nous quelqu’un que l’on connait, quelqu’un de proche. Comment
va réagir la femme turque lorsqu’elle apprendra que je suis un
prêtre orthodoxe grec ? Heureusement que la bonne intention et
le professionnalisme des deux femmes ont vite effacé toutes mes
hésitations. Je glorifie Dieu de me les avoir envoyées !
Il
est temps qu’elles partent. Presvytera demande la somme que nous
devons payer :
- Nous
avons eu beaucoup de patients auparavant, des vieux, des jeunes, des
vulnérables, qui ont été atteints par le virus et qui sont
finalement morts. Nous avons donc décidé de ne pas vous prendre de
l’argent en honneur de ces personnes.
Ma
femme entend cela et n’arrive pas à y croire. On se salue
émotionnellement. L’infirmière belge prend ses affaires et se
dirige vers la voiture. L’infirmière turque reste derrière. Elle
me regarde dans les yeux et me dit doucement.
- Je
voudrais vous demander un service. Vous êtes prêtre non ? Je
voudrais que vous fassiez une prière: pour moi, pour ma
famille, mais aussi pour tous ceux qui sont hospitalisés et pour
ceux qui sont morts.
Elle
me sourit et court vers la voiture. Je veux pleurer et sourire en
même temps. Je veux crier et bondir en même temps.
Où
est ton aiguillon, ô mort ?
Enfers, où est votre victoire ?
Le
Christ est ressuscité et vous avez été jetés à bas.
À
Lui gloire et puissance dans les siècles des siècles. Amen.
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